Ce texte est tiré intégralement du thread de Pandov Strochnis ayant pour intitulé :

« Les tests d’opinions politiques à la « political compass » ne sont pas des outils très sérieux et rendent les gens politiquement naïfs. »

Political Compass : Qu’est-ce que c’est ?

Commençons par le commencement : le « political compass », c’est quoi ? Ca part d’un bon sentiment : l’idée que les alignements politiques sont plus complexes qu’un simple spectre « gauche/droite » et qu’il faut les comprendre en tant que tels.

La formule la plus connue, au point de devenir une blague, consiste à poser les alignements politiques en fonction non pas d’un axe gauche/droite mais de deux axes :

° liberté économique (axe droite/gauche)
° liberté sociale (axe autorité/liberté).

Political Compass sous sa forme la plus répandue

De façon intéressante le « political compass » n’a pas vraiment d’origines théoriques ni personnelles établies : ne ne sait pas clairement qui l’a conçu, et sur quelles bases. Il « ressemble » au quadrant de Nolan, du libertarien David Nolan, qui l’a conçu à fins de propagande.

Quadrant de Nolan

Et même si les auteurs citent sur leur site « le travail de Wilhem Reich, Hans Eysenck et Theodor Adorno » comme inspirations, à aucun moment leur travail n’est clairement explicité, alors que l’écho de cet outil de propagande est assez clair.

Le but du quadrant de Nolan est en effet de montrer que la position libertarienne est celle qui optimise la liberté au niveau personnel comme économique et que donc c’est la meilleure opinion politique possible.

Je me contenterai de noter qu’il est étrange que « la meilleure opinion politique possible » ait conduit à la montée au pouvoir au sein de ses propres institutions d’un antisémite haineux comme Ron Paul. Les gens qui me suivent ici savent ce que je pense des libertariens.

Le cas du modèle « political compass » tel qu’on le connaît le mieux, avec ses quatre cases rouge, bleue, jaune et verte, ce qui est la forme la plus probable d’inspiration de ce modèle est un outil de propagande assumé, conçu par un lobbyiste.

Et comme un autre outil souvent utilisé comme s’il était neutre, la Fenêtre d’Overton, cet outil de propagande a des effets propres. Elle fait passer des prises de positions pour des faits objectifs.

D’une façon générale l’idée que la droite capitaliste serait favorable à la liberté économique et pas du côté de l’autoritarisme, surtout dans le cas de la droite libertarienne, est ridicule si vous posez la question par exemple à un syndicaliste.

Un autre effet de ce modèle est qu’il fait comme si ses quatre quadrants correspondaient à des groupes grosso modo similaires. Dans un modèle prenant en compte leur existence réelle, le carré jaune serait quasi inexistant : des libertariens, il y en a douze.

Avant que vous ne me répondiez que le but du quadrant n’est pas de présenter la représentativité des quatre carrés : je sais bien, mais je sais aussi que le mouvement libertarien, notamment américain, a toujours pratiqué l’astroturfing (le fait de faire passer grâce à des campagnes de communication des groupes marginaux pour des mouvements sociaux) et comme c’était le but du quadrant de Nolan, je pense que c’est une remarque intéressante à faire.

Mais rien de tout ça n’est la critique de fond que je veux faire à ce modèle. Ce sont plus des critiques au quadrant de Nolan qu’au political compass d’ailleurs. Revenons donc à nos moutons.

Political Compass : un test psy

Le modèle du « political compass », avant d’être un meme, est surtout un test politique fonctionnant comme un test psychologique.

Vous pouvez aller sur le site, et à condition de répondre à quelques unes de leurs questions vous allez avoir la révélation de votre réel alignement politique. Je l’ai fait, par curiosité. Je sais qui je suis ! Youpi, tralala (non).

En ce sens le « political compass » est le principal, mais pas le seul, test politique psychologique. Tous ont leur esthétique, mais renvoient au même système. En voici un connu, conçu par un collectif se présentant comme proche de la gauche radicale. Le résultat est aléatoire.

Ce dernier est librement inspiré d’un autre test bien connu, 8 Values, qui fonctionne sur le même principe et donne les mêmes types de résultats.

Un usage de ce type de dispositifs est d’en prendre régulièrement pour illustrer son évolution et son voyage politique individuel. Ici un exemple pêché sur Reddit :

Evidemment un usage bien plus amusant et intéressant de ce type de tests est juste d’en faire des memes. Mais je ne m’arrêterai pas sur cet usage.

Le Political Compass des antagonistes de la série animé « La Légende de Korra »

Maintenant que c’est dit. En quoi les tests d’opinions politiques à la « political compass » ne sont pas des outils très sérieux et rendent les gens politiquement naïfs ?

Political Compass : à côté de la plaque

Je pense qu’il y a deux problèmes avec ces dispositifs : d’abord leur caractère individuel, ensuite la façon dont ils pensent que les questions politiques existent. Je pense que ces deux problèmes sont en réalité le même problème mais commençons par les décrire rapidement.

1. Leur caractère individuel : quelle que soit leur construction, ces outils conduisent à penser que l’idéologie est une forme d’identité. C’est un effet du test psychologique : « Découvrez quel type de [petit copain / superhéros / crème dessert] vous êtes ! ». Pour être tout à fait honnête je devrais dire « test psychologique tel que diffusé par les grands médias » les psychologues cliniciens ne font pas ce type de tests.

A ce niveau-là le test politique marche très bien dans un contexte où l’offre politique est comprise comme l’offre marchande, où le but est de trouver le produit qui correspond le plus à votre goût personnel à vous, électeur et consommateur.

(A propos cette métaphore du monde politique comme un marché où les individus échangent des votes contre des promesses vient aussi des néolibéraux et plus spécifiquement de gens comme Thomas Buchanan ainsi que de la Société du Mont Pélerin mais passons)

Le problème c’est que c’est faux. On sait que les gens ne mobilisent pas leurs idées politiques comme ça. De fait ils se mobilisent essentiellement sur des problèmes publics donnés dans des contextes données et le reste de ce qu’ils pensent n’a pas d’importance.

Pour être plus clair : tout le monde s’en fout que vous pensiez en votre for intérieur que le capitalisme doit être régulé si vous votez en 2007 pour Nicolas Sarkozy parce qu’il a promis plus de flics, à commencer par Nicolas Sarkozy lui-même dans la politique qu’il mènera.

« Hmmm je socialiserais bien les moyens de productions moi »

Pour partie, les comportements politiques sont moins explicables par « Qu’est-ce que vous croyez ? » que par « Qu’est-ce que vous croyez suffisamment peu important parmi ce que vous croyez pour le mettre en arrière-plan quand il s’agira de vous mobiliser concrètement ? ».

Au pied du mur, vous ne pouvez pas acheter 1kg de « Patrie-Famille-Egalité » ou de « Economic Left/Right: -9.63 Social Libertarian/Authoritarian: -8.46 » à ramener chez vous. Et avec un test individualisé à ce point, vous êtes mal parti pour créer du collectif.

Évidemment le fait de savoir que vous êtes dans « telle case générale » peut aider, mais au final l’effet principal est de vous permettre de voir votre affiliation politique comme une identité avant tout, plutôt que comme une idéologie s’inscrivant dans des courants collectifs et visant à une transformation du monde dans un sens particulier. C’est bien plus intéressant de travailler sur son appartenance à une « image de marque », éventuellement en achetant les bons goodies, que de s’organiser collectivement.

Si ce dernier point vous intéresse je vous encourage à lire les écrits de Mark Fisher qui en a parlé d’une manière à mon avis très intéressante.

2. La façon dont ils comprennent les questions politiques. Si le monde de l’opinion publique était un marché où se heurtent des identités différentes, la façon dont les tests posent leurs questions ne serait pas trop mal faite. Le problème, c’est que ce n’est pas le cas.

La lutte politique se concentre presque autant sur l’imposition des questions qui valent le coup d’être posées (ce qu’on appelle la mise sur agenda) que sur les réponses à ces questions. Un exemple banal c’est la façon dont l’élection de 2002 a tourné autour de la sécurité.

Ce n’est pas que la gauche n’avait pas de réponse à cette question, ce n’est pas que cette question est intrinsèquement de droite et d’extrême-droite, c’est qu’à l’époque, les gens qui disaient « Si si, c’est ça qui est important » étaient à droite et à l’extrême-droite.

Le fait qu’on demande à Jean-Luc Mélenchon de parler de sécurité et d’immigration, et pas à Emmanuel Macron de parler des 32h et de socialisation de l’économie est déjà un signe du rapport de force entre ces deux acteurs et les forces politiques qu’ils incarnent.

« wesh »

Et si l’industrie sondagière a tendance à faire croire que c’est par « la demande » que l’agenda est fixé, et que les hommes politiques ne font que « capter l’air du temps », cette phrase est plutôt inexacte : largement, l’agenda politique est produit par l’offre, pas la demande.

Ça veut dire que les questions que vous posent les tests politiques, comme tout sondage, n’existent pas en tant que telles, elles existent dans un certain contexte. Elles sont légitimes parce qu’elles sont imposées par certaines forces sociales.

C’est la critique des sondages de Pierre Bourdieu la plus connue : les sondages consistent largement à poser à des gens qui ne se les posent pas des questions auxquelles ils n’ont jamais réfléchi et à faire comme si leurs réponses étaient issues d’une réflexion approfondie.

Un exemple tout con : le sondage du « political compass » m’a demandé si je pensais que mes enfants devaient apprendre la religion à l’école, une question que je ne me suis honnêtement pas posée dans ma vie. Il ne m’a en revanche pas demandé si la propriété privée des moyens de production devait exister, une question tout à fait centrale dans mes opinions politiques concrètes. Et je peux comprendre pourquoi.

Politcal Compass : Conclusion

Vous l’aurez remarqué, mes deux critiques sont la même critique, qui peut se résumer ainsi : dans le monde réel, les opinions des gens existent moins à travers ce qu’ils pensent, que ce qu’ils font.

Non pas que se renseigner sur une idéologie, méditer, se poser des questions, etc. n’ait pas d’impact, au contraire ! Mais pour que cet impact existe, il faut regarder ce que l’on fait.

Ça m’importe assez peu de savoir que Manuel Valls en son for intérieur croit que la lutte des classes est une question centrale, quand au jour le jour son travail consiste à s’allier à l’extrême-droite et au patronat pour envoyer plus de police sur les pauvres.

Et tout cela, je pense, rend les gens naïfs. Ca incite à croire que ce qui urge, politiquement, est d’atteindre une sorte de clarté théorique qui, du fait même de la façon dont le monde politique existe, n’existera jamais.

Il est à mon avis bien plus intéressant de demander aux gens quels sont leurs problèmes, que quels sont leurs opinions. Déjà parce qu’un problème ça se partage et ça se discute, ça incite au diagnostic et à l’organisation, et ensuite, parce que c’est beaucoup plus concret.

Je pense qu’il est plus intéressant de penser aux affiliations politiques en termes de ce que les gens font, plutôt que ce qu’ils pensent. La fin.

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