– Mon féminisme me fait du mal.
Cette phrase, je me la suis arrachée à moi-même, après des heures de lutte interne, en novembre dernier. J’ai eu si peur de me l’avouer, et encore plus peur de le dire à mes proches qui se trouvaient avec moi, qu’avant de réussir à la verbaliser, j’ai ressenti une tension terrible, la sensation confuse que j’allais me trahir, tuer une partie de mon identité. Pourtant, quand ces mots ont finalement franchi mes lèvres, c’est un profond soulagement qui les a suivi.
Je suis féministe depuis plus de dix ans, depuis la fin de mon adolescence. Le féminisme a contribué à me construire politiquement. Il a été central dans nombre de mes engagements, de mes créations, de mes amitiés et de mes amours. Ce sont des valeurs et un combat que je n’ai eu de cesse d’amener dans toutes les sphères de ma vie. Que s’est-il passé pour que j’en vienne à penser et à ressentir une telle chose ?
Ce que mon féminisme m’a fait, il me semble qu’il le fait à d’autres. Plein d’autres. Je crois que nous sommes très nombreuxses à nous être retrouvé·e·s plus ou moins coincé·e·s dans un certain rapport au féminisme, que je vais m’efforcer de décrire, et qui tient plus de la relation toxique qu’autre chose. J’aurais peut-être pu reconnaître les signes plus tôt, j’étais déjà passée par là à un niveau individuel. Mais c’était compliqué de savoir qui pointer du doigt : la binarité abuseur / victime ne peut plus s’appliquer aussi naïvement, quand on parle de dynamiques de groupes, de mouvements, de choses informes, de réactions non centralisées et de ce qui se passe sur les réseaux sociaux.
Toxique, vous avez dit toxique ?
1. On ne critique pas en public
Quand j’ai d’abord parlé à des ami·e·s de mon intention d’écrire un article sur les impasses actuelles du féminisme, j’ai eu droit à des réactions du type “pas tous les féminismes” (ce qui est juste mais n’est pas très satisfaisant comme réponse), ou à l’idée qu’on pouvait critiquer en interne, mais que ce n’était pas une bonne idée de donner du grain à moudre aux antiféministes en face. Ce n’était pas mal intentionné, mais ce genre de choses me déclenche tout de même une alarme. Ne pas pouvoir porter librement une critique du système (couple, famille, association, mouvement…) où on se trouve, c’est en général le signe d’une gestion toxique de la critique : la silenciation. Il ne faudrait pas donner une mauvaise image, abîmer une réputation. Sauf que si mauvaise image il doit y avoir, c’est peut-être qu’il y a une raison dont il faut tenir compte. Le déni n’est jamais une bonne stratégie à long terme, et quand on tente d’étouffer un conflit, il finit en général par ressortir autrement. Comment porter une critique féministe du féminisme, sans être renvoyée à de la trahison, à de l’antiféminisme ? D’autres l’ont fait, je m’y essaie.
2. Dogme VS Dialogue
Depuis plusieurs années, mes endroits de malaise grandissaient. Au départ, il s’agissait de dynamiques sur des groupes en ligne. J’ai ainsi pu observer l’agression comme mode d’accueil de celleux qui ne connaissent pas encore les codes. Ça arrive fréquemment si, par exemple, la personne s’exprime sans utiliser les termes en vigueur dans le milieu (et impossible de souligner le problème sans se faire renvoyer à du tone policing (1)). Si ta porte d’entrée féministe, c’est ce genre d’espace, tu assistes à ça en permanence. Quand tu veux quand même appartenir à ces groupes parce que plein de valeurs de ces communautés te touchent, ou parce que c’est le seul endroit où tu sais que tu trouveras du soutien, tu apprends vite à ne pas faire trop de vague. À te taire d’abord, parce que tu ne te sens pas légitime, et parfois longtemps. Tu intègres le Dogme, et tu le répètes. Tu reproduis aussi, probablement, les dynamiques dans lesquelles tu a été accueilli·e. Tu n’es pas là pour faire de la pédagogie. Éduquez-vous et fermez-la.
Le Dogme, c’est la réduction de la pensée. Le Code doit être simple, et moi, j’ai toujours trop aimé posé des questions (c’est d’ailleurs ainsi que j’ai cessé, en 2011, d’être abolitionniste : en posant des questions à des abolitionnistes qui m’ont renvoyé que le fait même de les poser faisait de moi une mauvaise féministe). Un Code s’applique, donc, il ne se questionne pas. Le Dogme, ce n’est pas seulement qu’on ne critique pas en public, c’est qu’on ne critique pas tout court (et de nombreux espaces “internes” aux féminismes en ligne fonctionnent aussi comme des espaces semi-publics, ce qui complique la chose). Le Dogme recrée une division binaire du monde : féministe et allié·e qui a bien intégré le Dogme et ne le questionne pas, ou ennemi·e envers qui la violence devient donc acceptable.
Le Code féministe auquel je pense, s’il était écrit, contiendrait des énoncés comme :
- Il faut s’éduquer seul·e (surtout les hommes cis), en apprenant des ressources à disposition.
- Il faut écouter les concerné·e·s sans questionner leurs paroles, à moins d’être concerné·e soi-même.
- Il faut toujours croire les victimes, sans conditions (sans poser de questions).
- Il faut faire preuve de soutien concret inconditionnel envers les victimes.
- Quand il y a une victime, il y a toujours un agresseur.
Je ne cherche pas à dire que ce Code n’a aucun sens, qu’il n’y a pas de bonnes raisons pour lesquelles ces énoncés ont été émis, puis partagés. Mon problème est, qu’à partir de réels besoins, se soient ancrées des affirmations rigides, répétées comme des mantras, qui finissent par être collectivement dommageables. Elles ne se contentent plus de répondre aux besoins de base (d’écoute et de valorisation de certaines paroles et sujets souvent minorisés, entre autres), mais ont pris la forme de textes sacrés : ne pas y souscrire parfaitement, c’est risquer de rencontrer des réactions de rage, de rejet. Au lieu de favoriser l’écoute, elles l’empêche souvent, créent des réflexes conservateurs, sont un frein à l’évolution des pensées féministes, des dynamiques de groupe, et même des relations interpersonnelles. Enfin, ce Code est régulièrement instrumentalisé par des personnes qui ont des comportements abusifs qu’elles justifient en s’appuyant dessus, ce que je développe dans la partie suivante.
3. La rhétorique de la victime
Ce que j’appelle rhétorique de la victime, c’est le fait de déclarer être dans la position de victime en premier dans un conflit, et d’ainsi cantonner l’autre à la place d’agresseur. Il y a tout un vocabulaire déployé avec cette rhétorique, qui consiste souvent à accuser l’autre ou les autres d’abus, d’être toxique, etc. Ainsi, le langage développé pour aider des personnes victimes de violences à identifier et nommer ce qui leur arrive est instrumentalisé au nom du féminisme. Pas toujours en faisant un usage correct des termes d’ailleurs, j’ai par exemple vu plusieurs fois des mésusages du terme gaslighting, et lu d’autres personnes qui en disaient autant. Quand j’écris instrumentaliser, je ne veux pas dire que les personnes qui usent de cette rhétorique le font en pleine conscience. Il s’agit plutôt d’une lecture dramatisée de ce qui se passe, qui peut être liée à plusieurs facteurs, y compris des enjeux de traumatisme. Sarah Schulman parle de cette tendance dans son livre Conflict is not abuse (le conflit n’est pas l’abus). Ainsi, un désaccord peut se retrouver à être qualifié comme du gaslighting parce qu’on a dit à l’autre que selon nous, elle avait tort, ce qui sera lu comme un déni de sa réalité. Comme le Code indique qu’il faut soutenir les victimes inconditionnellement, il est très difficile de mettre à jour ce type de comportements. Si réactions il y a, elles se feront en général en privé. Ça a plusieurs conséquences néfastes, comme l’évitement du conflit (de peur de risquer d’être catégorisée comme personne abusive) et la difficulté de gestion des conflits quand ils surgissent tout de même (si on applique une grille de lecture binaire, cela demande d’appliquer le Code plutôt que d’envisager une gestion complexe des situations).
N’est-ce pas un peu ironique que je cadre moi-même cet article via le prisme de l’abus ? Je considère que ce n’est pas parce qu’une grille de lecture est souvent pervertie qu’il faut s’en débarasser (de même que je ne propose pas qu’on se débarrasse du féminisme suite aux problématiques que je pointe), et en l’occurrence, elle me semble avoir sa pertinence. Il me semble intéressant de remarquer qu’il peut exister des dynamiques abusives sans volonté d’abus (“le féminisme” ne me veut aucun mal, et ça serait absurde de le formuler ainsi). Je reconnais que c’est aussi un cadre via lequel j’ai appris à penser, et qui a certainement ses limites pour cette analyse. Je suis tout à fait ouverte à des propositions de grilles de lecture alternatives. En attendant, je continue sur ma lancée, en terminant cette partie par la question de la dépendance émotionnelle, ingrédient qui explique pourquoi on se retrouve à rester dans des relations toxiques, voir à accepter d’en subir la violence.
4. La dépendance affective au féminisme
L’attachement au féminisme, quand on a été victimes de violences sexistes et qu’on y a trouvé et une communauté de soutien, et une base théorique qui donne du sens à la souffrance qu’on a subie et dont on ne veut plus jamais être l’objet — ni que quiconque d’autre le soit — est tout à fait normale. Mais parce qu’il est souvent si nécessaire, cet attachement rend perméable aux dynamiques toxiques pointées plus haut. En gros, c’est notre dépendance au féminisme qui nous amène à nous retrouver coincé·e·s dans cette relation toxique : il ne nous semble pas exister d’ailleurs de valeur. Jo Freeman évoquait déjà cet enjeu dans un texte du début des années 70, Trashing : the dark side of sisterhood : “Pendant toute ma jeunesse, j’ai survécu parce que je n’avais jamais donné à une personne ou à un groupe le droit de me juger. Je m’étais réservée ce droit. Mais les douces promesses de sororité du Mouvement [féministe] m’ont séduites. Il prétendait offrir un refuge contre les ravages d’une société sexiste, un endroit où l’on serait comprise. C’était mon besoin même pour le féminisme et les féministes qui m’a rendue vulnérable. J’ai donné au Mouvement le droit de me juger parce que je lui faisais confiance. Et quand il a jugé que je n’avais aucune valeur, j’ai accepté ce jugement.” (3)
Prégnance du dogme et lecture des conflits comme abus ont en commun d’instaurer une peur de dire, des difficultés à dialoguer, à remettre en question. C’est en fait une peur du jugement social et du rejet par sa communauté, dont l’importance peut être vitale. Bon, tout ça, j’avais déjà identifié de quelle manière c’était problématique avant. Mais ce que ce moment difficile de novembre m’a permis d’articuler avec plus de clarté, ce sont les deux premières impasses féministes que je tente d’expliciter ci-dessous. Quand j’ai fini par réussir à dire que mon féminisme me faisait du mal, c’était avant tout de cela qu’il s’agissait pour moi, parce, contrairement aux autres enjeux, ceux-là étaient encore très intériorisés. Les impasses étaient à l’intérieur de moi, et se prendre des murs, y compris psychiques, ça fait mal.
Les impasses
1. Le féminisme comme exigence de vigilance permanente : un poids que je ne veux plus porter
Une des caractéristiques du traumatisme, c’est que le danger vécu dans le passé continue d’exister avec autant d’intensité dans le présent. On vit dans une société qui traumatise la plupart d’entre nous. Bien sûr, ce danger, ces traumatismes sont, au départ, liés au patriarcat, pas au féminisme (ce ne sont pas les seuls sortes de traumatisme bien sûr, mais ce sont ceux qui m’intéressent pour le présent article). Cependant, le féminisme comme rapport au monde peut amener à en entretenir les séquelles. Cette soirée de novembre, je l’ai ressenti très clairement. J’ai identifié que j’avais cette pensée : “si ce n’est pas moi qui fait attention, personne ne le fera”. Je portais avec moi l’entière responsabilité qu’il ne se produise pas d’abus à un moment que je voulais par ailleurs récréatif. Je ne veux plus croire cela, ni agir en fonction.
Parce que le patriarcat est le régime sous lequel nous vivons 100% du temps, il faudrait que nous soyons vigilant·e·s en permanence, de véritables soldat·e·s qui montent la garde pour s’assurer que non, “pas un·e de plus”. Que nous portions la responsabilité d’éviter qu’il y ait d’autres abus, d’autres violences sexistes. Mais si on n’échappe pas au patriarcat comme régime, il faut tout de même noter que non, le danger d’un abus dans notre environnement immédiat n’est pas toujours imminent. Nous comporter comme si c’était le cas nous blesse, concrètement. Ce niveau de stress permanent n’est pas sain. Il génère de la souffrance qui peut se traduire aussi bien sur le plan mental que physique. Il ne me semble ni juste ni bon qu’un tel poids pèse sur les individu·e·s. S’il est bon de pouvoir réagir en cas d’abus — et il est compréhensible qu’on en soit pas toujours capable — nous n’avons pas à vivre dans l’hypervigilance de l’abus imminent. Nous avons le droit de nous reposer. Nous avons le droit de ne pas être en contrôle constamment. Je ne veux pas d’un féminisme qui m’empêche lui aussi de prendre du plaisir, j’ai déjà assez à faire avec le patriarcat à ce niveau-là.
Cette demande de vigilance porte aussi bien sur la sécurité d’autrui et la nôtre (éviter les abus), que sur la perfection de notre comportement (ne pas commettre à notre tour d’abus, ou, plus largement, ne pas produire de discours ou d’actes qui ne collent pas avec le Dogme en vigueur).
2. La culture féministe actuelle nous dit qu’il faut réclamer notre pouvoir, mais juge sans compassion les mésusages du pouvoir.
Je vois dans cette impasse-ci une véritable double contrainte. D’un côté, il faudrait qu’on soit puissant·e·s, qu’on réclame notre pouvoir, qu’on joue le jeu de l’empowerment (non seulement affirmer nos limites, mais aussi s’exprimer en public, s’autoriser à prendre de l’espace à la fois par la parole et par le corps, faire preuve d’initiatives, etc). De l’autre, on nous dit que la pire chose que l’on pourrait faire serait de blesser quelqu’un·e, de commettre nous-même un abus et que nous devons faire très attention à nos comportements en permanence. Comment ne pas être paralysé·e par cette peur de reproduire des violences qu’on a bien souvent subies nous-même (c’est particulièrement vrai dans les domaines affectif et sexuel) ? Comment ne pas être empli·e de dégoût et de terreur à l’idée d’alimenter le cycle de la violence en agressant et abusant à notre tour ?
Ça peut paraître insoutenable, mais il me semble qu’il faut parvenir à accepter qu’on ne peut pas prendre de pouvoir sans prendre de risques. Imaginer qu’on puisse le faire, qu’un jour on aura assez appris pour être certain·e·s de ne pas faire de mal, c’est dangereux. Il nous faut renoncer à cette fiction qu’il serait possible d’être safe, cesser d’utiliser ce terme pour qualifier des personnes qu’on connaît, nous-même, ou encore des lieux. Ce ne sont pas de bonnes bases pour construire un sentiment de sécurité et de la confiance. L’exigence de perfection est intenable, et donc vouée à l’échec. Elle amène forcément avec elle peur et malhonnêteté (peur de mal faire, peur des abus, dissimulation de pensées et d’actes pour éviter les jugements). Il nous faut donc une vision qui intègre le risque, l’erreur, l’échec, et même la violence. À l’intérieur et à l’extérieur de nos communautés.
Oui, parce que la manière dont vont être jugé·e·s “les autres” nous renseigne sur la manière dont on peut s’attendre à être traité·e·s par nos pairs. Ce qui se passe en fait, c’est qu’on a aucune envie d’être jugé·e·s de la manière dont on juge les mecs cis blancs hétéros. On a pas envie de se prendre ça, et comme visiblement c’est ce qui risque de se passer quand on fait du mal, on devient ultimement flippé·e·s d’en faire (en plus des autres raisons que j’ai évoquées plus haut), ce qui nous rend bien plus susceptibles de ne pas reconnaître quand on en fait. Il est bon d’avoir conscience des risques, il est aussi bon d’avancer dans la vie sans se confire de peur dans la passivité (je pense entre autres aux difficultés dans les relations affectivo-sexuelles entre personnes queers, terrifiées de prendre des initiatives). Pour que ça soit possible, il faut que les attitudes et réactions envers les personnes qui ont agressé ou fait du mal d’une manière ou d’une autre changent.
Il faut que le prix à payer pour se reconnaître comme agresseur soit autre chose que la mort, sociale ou littérale. Quand il y a remise en question et reconnaissance du mal, nous devons collectivement apprendre à le recevoir autrement. Sinon, comment espérer du changement profond ? Attendre des gens qu’iels s’exposent volontairement à des risques psychiques, sociaux, voire physiques intenses par pure volonté éthique, c’est une attente inhumaine et irréaliste, donc vouée à l’échec.
3. La punition et la violence ne transformeront pas la société
La justice transformatrice reste très peu évoquée dans les milieux féministes, et on fait face à des réactions qui sont le plus souvent punitives et définitives, quand bien même elles rentrent en contradiction face à d’autres idéaux de gauche des personnes dont elles émanent. Parfois même, la punition est un réflexe émotionnel plus qu’une décision politique. Finalement, ces réactions sont avant tout sécuritaires. Comme le dit Jessa Crispin : “La sécurité est un but à court terme […] La paix […] vaut la peine qu’on se batte.” Ce qui ne veut pas dire qu’il serait mal de se préoccuper du besoin de sécurité, ou même de prendre par moments des décisions qui vont dans ce sens. Simplement, il faut prendre conscience que cela est lié à des enjeux à court terme plutôt qu’à une possibilité de transformation profonde.
Dans son ouvrage récent, Pour elles toutes, Femmes contre la prison, Gwenola Ricordeau s’attaque à cette idée du féminisme mainstream qui consiste à demander à ce que tous les violeurs soient mis en prison. Elle montre entre autres comment la mise en prison des hommes impacte négativement les femmes, et comment, aujourd’hui, ce sont principalement des hommes racisés qui vont être condamnés pour violences sexistes.
Si on ne veut pas reproduire le cycle de la violence entre nous, on pourrait peut-être s’interroger sur le fait que ça ne pose aucun problème à la majorité d’entre nous de le faire envers les mecs cis (une perspective intersectionnelle aide à avoir une vision plus large de ce cycle de la violence). Ça peut se comprendre, et les envies de violence et de punition ne sont pas mauvaises en soi : leur laisser de l’espace pour qu’elles puissent s’exprimer est important. Cependant, agir à partir d’elles est une autre histoire. Ce ne sont pas des bases sur lesquelles je souhaite construire ma vision du changement social, même si je peux imaginer les y intégrer.
Et maintenant ? Pour un nouveau Code féministe
Je ne veux pas qu’on se résigne à une dystopie féministe, qui suinte la peur et le figement. Construisons des féminismes solarpunks (4). Une culture de responsabilité et de compassion. Compassion pour celleux à qui on a fait du mal comme à celleux qui nous en on fait. Créons des contextes qui nous encouragent vraiment à prendre de la responsabilité pour notre propre pouvoir, sans nous punir pour nos échecs, pour nos erreurs. Et assumons-en les conséquences. Ce que serait assumer, c’est à nous de l’inventer collectivement, dans le cadre d’une justice collective féministe. Quelles seraient les réparations envisageables ? Comment on rendrait possible le changement ?
Je ne vais pas écrire ce Code seule, il ne peut qu’être une construction collective progressive. Mais je peux dire ce qu’aujourd’hui, j’espère qu’il sera. Mes souhaits, intentions, désirs, directions.
Je le rêve flexible et complexe,
qui ne retomberait pas dans les travers de l’essentialisation pour lutter contre
l’essentialisation
ni dans de nouvelles binarité en s’attaquant aux anciennes.
Un Code qui, paradoxalement, n’en soit plus un
Qui refuse de se laisser écrire sous forme de protocole
Plus des écritures saintes, mais un Code queer protéiforme
que personne n’aurait l’audace de penser pouvoir pleinement maîtriser.
Je souhaite briser les maléfices de pétrification
devant les abus commis et la peur d’en commettre moi-même
J’ai l’intention de prendre des risques
Et je réclame le droit de me planter.
J’espère être bien entourée,
qu’on cultivera ensemble nos capacités d’expression
pour éradiquer nos peurs de dire.
Je désire apprendre à accepter l’imperfection
et que, chez moi et chez les autres, elle suscite de la tendresse plutôt que de la rage ;
Apaiser les réflexes punitifs pour les remplacer par de la créativité
Tout en laissant leur place aux envies de violence.
Et toi ?
NOTES
(1) Le tone policing, c’est le fait de critiquer la forme (le ton employé, souvent agressif dans les cas où le terme est utilisé) et de ne pas adresser ensuite le fond de ce qui a été dit à cause de cela.
(2) Le gaslighting est une forme d’abus psychologique qui consiste à dénier les perceptions, souvenirs, émotions… d’une personne, ce qui sape sa confiance en elle et en sa vision du réel. Ce n’est pas forcément fait consciemment.
(3) Ma traduction. Texte original : https://www.jofreeman.com/joreen/trashing.htm
(4) Un mouvement esthétique et littéraire, qui explore dans un futur souvent proche des enjeux d’écologie, de justice sociale, d’horizontalité… via des personnages issus de “minorités”.
BIBLIOGRAPHIE
J. Freeman, Trashing: The Dark Side of Sisterhood, 1976
K. Cheng Thom, I hope we choose love, 2019
J. Crispin, Why I am not a feminist, a feminist manifesto, 2017
G. Ricordeau, Pour elles toutes, Femmes contre la prison, 2019
S. Schulman, Conflict is not abuse, 2016
Article proposé par Leïla
Je n ai rejoint le mouvement féministe que récemment suite à des violences subies et malgré tout je me reconnais dans cet article. Cet attachement soudain ne m’a pour autant pas rendu perméable aux dynamiques toxiques pointées dans l’article. J’ai reussi à dépasser la réaction émotionnelle ultra punitive induite par de tels actes en dehors de mon groupe. Être féministe ne doit pas être une entrave à nos libertés, et ne sera pas une entrave aux miennes en tout cas😊
Merci énormément madame, je suis une jeune féministe et sans mentir j’ai subi beaucoup de violences psychologiques de la part du mouvement et tellement difficile d’avoir un avis à exprimer. Merci pour vos questionnements et idées